Lettre d’information n°12 – septembre 2014

Énergéthiquement vôtre

MT

Nous bouclons, avec ce numéro 12, notre première année, où nous avons établi une base de publication régulière et substantielle, ce qui n’est pas une sinécure. Vous êtes plusieurs milliers à lire cette newsletter qui est diffusée directement à plus de 1000 destinataires et reprise sur une dizaine de sites amis. Pour marquer le premier anniversaire, nous présenterons le mois prochain plusieurs propositions pour vous apporter plus d’informations utiles et de réponses aux nombreuses questions et attentes que vous exprimez dans vos retours sur l’adresse mail du site. Merci de l’intérêt que vous manifestez pour nos lettres, et pour vos encouragements. Parmi nos tentatives récentes, nous avons remis le voyage d’étude en Allemagne au début du printemps 2015. Il reste complètement d’actualité et nous en reparlerons en temps utile.

Très bonne lecture.

Energitorial

Transition énergétique : les bons comptes font les bons amis ; les mauvais…

Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte, porté par la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, est maintenant dans son cursus parlementaire. Il va être mené tambour battant, puisque le vote de l’assemblée nationale est programmé pour le 14 octobre. Il est donc temps de se pencher attentivement sur ce texte touffus, où on trouve à boire et à manger : il suscite étrangement peu de critiques virulentes, ou, plutôt, chacun semble y trouver suffisamment son compte pour ne pas s’effaroucher de ce qui pourrait l’inquiéter.

C’est précisément cet « unanimisme » (qui n’est pas une unanimité, mais un consensus mou : c’est finalement mieux que rien) qui nous a poussés à chercher la « petite bête », ou plutôt l’anguille sous roche, le tour de passe-passe qui aurait permis ce brillant résultat. Je vous livre ici quelques éléments de calcul, en partant de chiffres tout à fait publics, tirés soit du projet de loi soit des informations fournies par les services les plus officiels.

Prenons d’abord parmi les objectifs très précis affichés dans le projet de loi et dans toutes les présentations qui en sont faites :

  • Réduire la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à 2012
  • Porter la part du nucléaire à 50% dans la production d’électricité à l’horizon 2025
  • Et ajoutons-y le très discret sous alinéa du premier alinéa de l’article 55 du projet de loi gouvernemental qui modifie l’article L. 311-5-5 du code de l’énergie : L’autorisation mentionnée à l’article L. 311-1 [autorisation d’exploiter] ne peut être délivrée lorsqu’elle aurait pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 63,2 GW.

Maintenant, voyons les chiffres :

  • La consommation énergétique finale s’est élevée en 2012 à 154 Mtep (source : Observatoire de l’industrie électrique / UFE)
  • 63,2 GW correspond à la puissance du parc nucléaire actuel, augmentée de celle du réacteur EPR en construction à Flamanville. (Nota : bien distinguer l’énergie et la puissance, qui est la capacité à délivrer de l’énergie. Une puissance de 1 GW – Gigawatt -, fonctionnant pendant 1 000 h, fournit une énergie de 1000 GWh – Gigawattheure, ou encore 1 TWh –Térawattheure – qui est égal à 0,09 Mtep – Mégatonne d’équivalent pétrole.) Il n’est nullement question dans la loi de baisser la puissance du parc nucléaire, mais de lui interdire de dépasser cette limite. D’ailleurs, d’ici 2025, sauf à prendre des mesures à l’allemande (décision politique forte) ou à la Japonaise (décision par la force des choses), rien n’est engagé ni évoqué à ce jour pour une quelconque réduction, sauf peut-être Fessenheim : c’était une promesse du candidat (élu) à la présidence de la république qui n’a pas encore reçu le commencement d’une exécution et qu’on se prépare à décaler « en attendant la mise en route de l’EPR ». Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Notons que progressivement, tous les réacteurs, y compris Fessenheim, reçoivent l’autorisation de l’ASN (autorité de sûreté nucléaire) pour une prolongation de leur exploitation sur 10 ans, ce qui les laisse bons jusqu’en 2025. Et d’ici là, ils pourront encore avoir dix ans de plus, et EDF prépare en ce sens le très coûteux « grand carénage », sur l’ensemble des réacteurs. Du reste, on constate, à l’expérience de Fessenheim, que l’exécution d’une décision d’arrêt prend probablement en France au moins cinq ans chez nous (nous en sommes bientôt à trois), pour tout un tas de « bonnes » raisons. Tout ceci pour dire que, en 2025, il y a toutes chances pour que l’énergie électrique nucléaire dans la consommation soit encore au niveau de 2012, soit 31 Mtep (75 à 80 % de la consommation électrique  de 2012 selon l’UFE, 38 Mtep). Si la capacité nucléaire était moins utilisée, il en résulterait une augmentation forte du coût de production (travail en sous charge accentuée d’une capacité opérationnelle.)

Si nous rapprochons tous les éléments ci-dessus (les engagements inscrits dans la loi, les données et les projections quasi certaines), nous arrivons aux conclusions suivantes :

  • Pour atteindre l’objectif de réduction de la consommation globale d’énergie à 2050 (- 50%), il faut réduire de 2% par an. Sans doute tout ne va pas démarrer en 2015 à ce rythme, mais tout ne pourra pas non plus se faire dans les 20 dernières années. Nous prenons l’hypothèse d’une réduction de 10% sur les 10 premières années (- 1% par an), ce qui signifie que, sur les 25 années suivantes, il faudra réduire de 2,5% par an. On obtient donc une consommation globale de 139 Mtep en année 2025.
  • Pendant ce temps, la part de l’électricité nucléaire passant à 50%, on aura une consommation d’électricité de 62 Mtep (le double des 31 Mtep produits par le nucléaire.).

Ces chiffres posent deux problèmes :

  • Ils représentent plus qu’un quadruplement en dix ans des capacités de production d’électricité hors nucléaire, rythme dont nous sommes aujourd’hui très éloignés, puisque, par exemple en 2014, la puissance renouvelable qui va être mise en service (éolien et photovoltaïque) atteindra péniblement 1 GW, mais seulement, en termes de production d’énergie, 0,2 Mtep par an (contribution… moins de 1%). Alors, d’où viendra le reste pour être en ligne avec l’objectif à 10 ans ? Pas de l’hydraulique, saturé et plutôt en repli : l’éolien offshore ? les CCCG (centrale à cycle combiné au gaz) ? Rien n’en est dit. Il est impossible à la fois de maintenir le niveau du nucléaire et de prétendre porter sa part de 75 à 50% dans la consommation électrique d’ici 2025.
  • La part de l’électricité dans la consommation totale passe de 25% à 45%. On lit bien dans le projet de loi qu’un intense effort de conversion des véhicules à l’électricité doit être mené, mais il s’agirait là, d’ici 2025, de passer quasiment la totalité du parc automobile (voitures particulières) à l’électricité : la consommation des VP représente en effet sensiblement 60% de la consommation d’énergie due aux transports, soit environ 30 Mtep, aujourd’hui intégralement en produits pétroliers, ce qui ramène aux environs de 15 MTep de consommation finale d’électricité, compte tenu des rendements. On en rit, rien que de l’écrire, et nous avons encore 10 Mtep d’électricité inutilisée. Les niveaux de consommation résultant des objectifs de la loi en 2025 ne pourront en aucun cas être absorbés par les équipements que le pays est capable d’installer d’ici là.

Donc, même avec le système de calcul shadok bien connu (le fameux GABUZOMEU), les objectifs assignés à ce volumineux projet de loi sont incohérents : L’équation qu’il pose est sans solution, même en tirant dans tous les sens. Ça fait penser à la coupe de cheveux aux derniers temps du service militaire, qui devait paraître courte pour les militaires et longue pour les civils. Un paramètre au moins doit bouger, et il est scandaleux qu’une loi de cette ampleur se dispense d’un minimum de cohérence : soit réduction du potentiel nucléaire (mais comment d’ici 2025 ?), soit une plus large part du nucléaire en 2025, bien sûr au détriment des énergies renouvelables, soit encore une augmentation, ou une stagnation, des consommations. Encore une fois, il ne s’agit pas d’écarts marginaux, mais d’une solide supercherie, comme savent bien en concocter les technocrates qui nous gouvernent, derrière un bon nuage de fumée.

Comme le répétait un de mes vieux amis, « le papier ne refuse pas l’encre ! ». Celui-ci ne semble hélas pas faire exception à la règle

… les mauvais comptes sont pour les gogos qui ne peuvent hélas y échapper : c’est la violence des institutions.

L’énergie juste !

Shadoks

Sommaire

  1. Les projets de nos territoires
    • Les premières maisons solaires aux mains des plombiers et électriciens.
    • La plateforme bois énergie communautaire de Langourla commence à s’élever.
    • Le réseau de chaleur de Combourg
  2. La transition en France et dans le monde
    • Delendum est RTBA : les révélations du général Labourdette…
    • Tordre le cou aux âneries rabâchées par les anti-éolien terrestre (pro-nucléaires et autres)

1.    Les projets de nos territoires

Les premières maisons solaires aux mains des plombiers et électriciens

Sonnenhaus

L’habillage intérieur du premier groupe de trois maisons (Collinée) est maintenant achevé. La cuve a disparu derrière les plaques de plâtre d’où on voit émerger de nombreux bouts de tuyau. L’isolant n’a pas encore été injecté dans le logement de la cuve.

C’est maintenant au tour des plombiers/chauffagistes et électriciens de travailler, en attendant les carreleurs et peintres qui mettront la dernière main au chantier. Ce sera pour décembre, avec un nouveau test d’étanchéité, prévu par le cahier des charges.

séjour

Il ne manque plus grand chose

cloison cuve

juste quelques tuyaux à raccorder

La plateforme bois énergie communautaire de Langourla commence à s’élever.

Plateforme Langourla

Les élévations en béton banché sont prêtes à recevoir les  poteaux de charpente.

La pose de la charpente s’engage en ce début de mois d’octobre, et tout devrait être couvert en fin de mois. Il ne restera plus que la pose des panneaux photovoltaïques, qui se fera sans doute début 2015, quand nous serons sortis du parcours du combattant que constituent les formalités de raccordement ERDF. Si tout va bien, les 100 kWc qui vont être installés fourniront le MWh produit à 132 € : on lira plus bas que ce prix est maintenant très proche de la parité réseau, et sera également proche du prix à la production des centrales nucléaires EPR. Tout en étant rentable, sans risque ni déchets…(Photos PS, un ami lot-et-garonnais de passage dans le Mené)

Le réseau de chaleur de Combourg.

logo CCBR

Un beau projet qui file bon train : les chaudières ont été installées mi-septembre. Une puissance de 1,5 MW, pour alimenter tout un ensemble de bâtiments scolaires et universitaires, la piscine, plus un hypermarché. À terme, quand tout sera raccordé, une consommation d’environ 1500 t de plaquettes de bois sec (25% HR). Tout sera produit sur le territoire de la Communauté de Communes de Bretagne Romantique, et la plateforme abritera, lors du démarrage de la chaufferie, environ 800 t de bois, pour un coût du MWh à la livraison chaufferie de 23 €. Un des éléments qui permet à cette filière d’être moins chère que le gaz naturel, avec, en prime, de l’emploi local et la valorisation des ressources locales.

chaudière

La pose des chaudières, le 15 septembre.

plateforme

Et la plateforme qui s’emplit.

2.   La transition en France et dans le monde

Delendum est RTBA : les révélations du général Labourdette…

RTBA

Décidément, notre grand feuilleton mensuel s’anime : voici que les grands médias s’emparent du sujet de l’obstruction de l’armée de l’air aux éoliennes. Je commence à croire que nous pourrions entrer dans un syndrome « Jéricho », vous savez, quand les soldats de Josué firent pendant sept jours le tour de la ville en sonnant de la trompe : à la fin, les murailles s’effondrèrent.

Général Labourdette

Air Actualités n°668  février 2014
Un général qui a gagné ses étoiles contre les moulins à vent !

Et donc, en ce dimanche matin, 21 septembre, sur une radio dite périphérique, quelle n’est pas ma surprise d’entendre parler des bisbilles entre l’armée de l’air et les éoliennes en Alsace (3 500 MW de projets seraient actuellement bloqués). Et la parole est donnée au général de brigade aérienne Éric Labourdette, qui prépare un rapport sur l’impact des éoliennes sur les vols d’entraînement des avions de chasse à basse altitude et le fonctionnement des radars : pensez, en dix ans, la hauteur des éoliennes est passée de 80 à 200 m. « Une éolienne, par nature, crée un masque, et donc ça crée une sorte de mur derrière lequel le radar ne peut pas voir. Des éoliennes qui sont en mouvement créent d’autres effets, et donc vous pouvez rajouter des faux échos ou des fausses pistes qui vont donner de mauvaises informations aux opérateurs de surveillance aérienne. » Verbatim, avec un bel accent béarnais qui m’a rappelé Bernard Labourdette, le mémorable coureur cycliste de Lurbe-Saint-Cristau, qui gagna deux fois le grand prix de la Tomate à Marmande (en 1967 et 1968), et dont le plus grand fait d’arme fut de gagner, le 14 juillet 1971, la 16e étape du Tour de France, au sommet, à Gourette, devant Eddy Merckx. On voit bien que c’est un nom de guerrier !

Bernard Labourdette

et son compatriote qui, sur les pentes du Tourmalet n’aurait pas dédaigné un bon coup de ventilateur.

Mais les aveux du général sont terribles : de simples éoliennes, des moulins à vent, suffiraient à mettre toute notre défense aérienne par terre… Plus de radars, plus de rase-motte pour aller poser ses bombes comme en Irak ou au Mali. On ne sait si on doit en rire ou en pleurer, tant on a l’impression du foutage de gueule. L’autre hypothèse est tellement affligeante qu’on n’ose imaginer que nos ingénieurs, formés dans les meilleures écoles, ne sont pas capables de faire le filtrage numérique nécessaire pour éliminer les échos des éoliennes. Même quand je faisais mes études (du temps où l’autre Labourdette grimpait le Tourmalet), on savait déjà faire.

Nous en revenons donc toujours aux mêmes questions : comment font nos voisins du nord et de l’est, qui ont hérissé leurs territoires d’éoliennes ? (peut-être devrait-on les informer de ce que les éoliennes ne sont pas compatibles avec la défense aérienne ?) Les scénarios stratégiques de nos armées ne portent-ils donc plus désormais que sur des interventions sur des territoires nus : Afrique subsaharienne (pour l’uranium), Irak (pour le pétrole), et demain, pourquoi pas, la Sibérie, s’il nous fallait aller chercher « notre » gaz ? Alors, nous comprenons bien que les moyens de la nation sont orientés vers la préservation de nos sources d’approvisionnement énergétique, et que les éoliennes sont bien doublement inutiles et nuisibles. Car c’est une véritable « stratégie » de l’armée de l’air, dont le brave général Labourdette, alors encore seulement colonel, est depuis des années l’exécuteur dans de nombreux territoires français, comme en 2013 en Mayenne.

Sauf que c’est sans doute plus difficile, par les temps qui courent, avec la vogue mondiale des éoliennes, de vendre des avions et des radars qui ne supportent pas les éoliennes. Question de stratégie export.

CQFD : le shadokisme n’épargne pas non plus les armées…

Tordre le cou aux âneries rabâchées par les anti-éolien terrestre (pro-nucléaires et autres)

arnaque

Nous ouvrons ici un nouveau « feuilleton » pour démonter tout un ensemble de poncifs qu’on peut retrouver dans nombre de documents écrits (articles, livres, blogs, tracts etc.) ou audio-visuels, parfois en simples copiés-collés : on y prétend démontrer que l’énergie éolienne, c’est cher et source de super profits pour des petits malins qui volent l’argent des Français, laid, nuisible à la santé et à la défense nationale, occasion de corruption d’élus et de fonctionnaires, incompatible avec un réseau électrique fiable, incapable de subvenir à nos besoins énergétiques etc. Une longue litanie, dont les promoteurs espèrent que la répétition à l’infini aura des vertus auto-suggestives et finalement auto-réalisatrices, dans un rejet franc et massif de l’éolien par la nation tout entière. Remarquez qu’ils ont en (grande) partie réussi, et la France apparaît, vue du ciel, comme une clairière au milieu des forêts d’éoliennes de tous nos voisins, notamment au nord et à l’est.
    
     Le réquisitoire débité par ceux qui se peignent en victimes de ces modernes moulins à vent étant fort long, nous souhaitons en faire une réfutation claire et serrée : il va nous falloir plusieurs mois, mais nous en viendrons à bout. Au passage, nous parviendrons bien à distinguer quelques Don Quichotte, qui, comme le héros de Cervantès, ont cru pourfendre le mal, sans vraiment savoir, et à débusquer les tireurs de ficelle, qui cherchent obstinément à confisquer à leur profit le domaine de la production et du transport d’électricité.
 
     Comme modèle de ces lamentations, nous allons prendre un volumineux dossier, intitulé « L’arnaque de l’éolien : le pillage de la France », mis en ligne sur le site polemia, qui répertorie à peu près tous les « bouteillons » (puisque nous sommes en 14 : les hoax de l’époque) courants dans l’armée des ennemis de l’éolien, notamment terrestre. En fait, ce document se situe plutôt dans la « troupe » technocrato-giscardienne.

Nous allons commencer par le point n°4 (sur les 9 « traités » dans le dossier) : Un coût pour la nation particulièrement élevé. C’est un des points les plus sensibles. L’auteur du dossier y multiplie les erreurs et, osons le dire, les malhonnêtetés, même si elles ne sont peut-être pas toutes intentionnelles :

  • Il met dans le même sac l’éolien terrestre et l’éolien offshore alors que ce dernier coûte effectivement trois fois plus cher que le premier, contrairement aux chiffres indiqués : le MWh d’électricité produite par l’éolien offshore ne sera pas vendu 130 €, mais plus de 200 €, selon les termes des contrats résultant des appels d’offres. Nous ne défendons ici en aucun cas l’éolien offshore, tout au contraire, mais le terrestre qu’il est trop facile d’amalgamer (vieux procédé rhétorique).
  • Il n’a pas lu les arrêtés tarifaires avec obligation d’achat de l’électricité produite par les éoliennes terrestres : ils prévoient un tarif initial, à 82 €/MWh, qui est réduit après dix ans, selon la productivité du site, entre 28 et 82 €/MWh, pendant les cinq années suivantes, puis régime commun, bien moins cher en moyenne. Bizarrement, il est bien difficile de connaître le tarif moyen d’achat du MWh dans le cadre de l’obligation d’achat, mais au détour d’une page du site de l’ADEME, on apprend que c’est aujourd’hui 70 €. Non moins bizarrement, la dernière mouture de l’arrêté a ajouté une clause de dénonciation de contrat, qui interdit aux parcs ayant opté pour le régime de l’obligation, sous peine du versement d’un dédommagement, de sortir de ce contrat, ce qui était libre jusqu’à cette année. C’est un indicateur intéressant, comme la suite va le mettre en évidence
  • En face, l’auteur du dossier se ridiculise en prenant comme référence des prix d’électricité « conventionnelle » (hors solaire, éolien et autre biomasse), basés sur un « coût marginal » (?), que même Proglio, le PDG d’EDF n’oserait pas sortir, et même qui le mettrait fort en colère. Bon, l’électricité française est sensée être la moins chère d’Europe (nous allons le contester), mais il ne faut pas pousser. Lui aurait voulu que cela coûtât 49 €/MWh, le gouvernement a décidé que cela coûte 42 €/MWh, chiffre donné aujourd’hui officiellement et base du calcul des factures de tout un chacun. Parce que, la fixation du coût de l’électricité ne résulte pas, en France, comme c’est le cas en Allemagne, d’un calcul comptable, comme le fait toute entreprise « normale », mais, comme dans la défunte URSS, d’un tripatouillage politique destiné à donner l’illusion que l’électricité est bon marché chez nous, donc que nous sommes performants. Le reste est payé par nos impôts, comme nous allons le voir ci-dessous. Alors en janvier 2014, donner un prix de 33 €, c’est vraiment n’avoir jamais regardé ce dossier, d’autant que, en ce début 2014, la Cour des Comptes s’est penchée sur cette question, en appliquant les règles du tripatouillage en vigueur (il y a quand même quelques règles, apparemment), et a donné le chiffre de 59 € pour le MWh nucléaire (80% de la production), actuellement, fortement orienté à la hausse à cause des travaux de mise à niveau à entreprendre dans les mois et années qui viennent (le « grand carénage »).
  • Pire : si on se réfère aux projets de centrales de la génération future (EPR), sans essayer d’y voir clair dans le projet Flamanville (c’est le premier de la série : c’est normal que ce soit beaucoup plus cher !!!), mais en prenant le contrat EDF Energy en cours d’approbation en Angleterre (EPR d’Hinckley Point), on arrive à 115 €/MWh (89,50 £), avec contrat sur 20 ans.
  • À ce point de la discussion (et le meilleur est à venir), nous avons, juste avec des chiffres « officiels », pour autant qu’on se donne la peine de les chercher, d’une part le MWh « conventionnel », essentiellement nucléaire, à 59 €, avec évolution tendancielle vers 115 €, au fur et à mesure de l’indispensable modernisation du parc, et d’autre part, le MWh l’éolien à 70 €, sans augmentation depuis plus de dix ans, et qui pourrait être plus bas si deux douzaines d’administrations ne passaient leur temps à appliquer à la lettre les dizaines de lois et textes destinés à limiter le développement de l’éolien terrestre, « pour votre bien et votre défense, chers administrés assujettis. »
  • Le meilleur (le pire !!) est que le prix affiché et fièrement brandi par les dirigeants du pays « qui a l’électricité la moins chère d’Europe » est très largement sous-évalué : c’est celui qui vous est facturé, en tant que consommateur. Il y a de nombreux coûts qui n’apparaissent pas là et sont noyés dans vos impôts, ce que vous payez en tant que contribuables :
    • La plus grande partie des coûts de recherche et développement du nucléaire, menés par le CEA et estimés en cumul à ce jour à quelque 50 Mrds €, et qui continuent avec des projets comme Astrid ou Iter (réacteurs supposés des générations suivantes.)
    • Le stockage des déchets nucléaires à longue durée de vie (projet CIGEO), dont le coût final, s’il aboutit un jour, dépassera sans doute les 25 Mrds €
    • Le démantèlement des centrales en fin de vie, en principe à la charge d’EDF, mais très sous-provisionné (de moitié au moins). Devinez qui paiera, le moment venu ?
    • Et surtout la question de l’assurance des centrales nucléaires. C’est bien connu, l’assurance ne coûte cher qu’avant le pépin : parlez-en aux Japonais, dont la société d’électricité TEPCO (Fukushima Daichi) est face à des dommages évalués à 250 Mrds €. Si vous suivez un peu, il ne vous aura pas échappé que ce sont les Japonais, comme consommateurs et comme contribuables qui doivent très vite régler la facture. L’assurance vise à lisser, à provisionner les charges, en prévision d’un accident hélas probablement inéluctable, comme nous l’expliquerons un prochain mois. Le coût d’une telle assurance, calculée sur le parc nucléaire français par les actuaires des compagnies suisses (de bons spécialistes pour le moins), s’élèverait entre 150 et 200 €/MWh.
    • On pourrait encore ajouter le coût des expéditions militaires engagées pour protéger notre approvisionnement en uranium, et quantité d’autres coûts encore, comme ceux des pathologies professionnelles bien particulières qui touchent les ouvriers de toute la filière, et qui sont à la charge de l’assurance maladie de monsieur tout le monde, comme les retraites très avantageuses des employés d’EDF d’ailleurs.
  • L’addition apparaît donc comme fort salée, à la fin, et vous la paierez intégralement, facture ou impôt, foi de technocrate. En face, les éoliennes sont « tout compris » dans la facture : les coûts de R&D, le démantèlement (provisionné), pas de déchets, pas de hausse du combustible, les assurances bien modérées, parce que le risque est très faible, pour ne pas dire nul. Cette politique de prix tout compris est d’ailleurs celle qui prévaut chez nos voisins, notamment allemands, qui ne sont pas moins bons que nous, mais qui, avec le prix réel payé par le consommateur, peuvent dégager pour lui de vraies économies quand il fait des travaux d’amélioration énergétique, ce qui permet de les financer. C’est comme cela que les ménages allemands consomment moitié moins d’électricité que les ménages français, sans passer par les usines à gaz que nos administrations affectionnent et qui ne sont souvent que gabegies.
  • Il reste encore deux points : l’auteur du dossier mélange savamment les aspects tarifaires et fiscaux, et ce n’est certainement pas innocent. L’évaluation du surcoût faite sur la base à la fois d’un coût de référence erroné (33 €/MWh) et d’un coût de rachat contractuel non moins erroné (82 €/MWh) est totalement délirante pour l’éolien terrestre, en plus de tout ce que nous venons de relever au point précédent. Ce surcoût apparaît sur votre facture d’électricité, dans une ligne fourre-tout, nommée CSPE (contribution au service public de l’électricité). En réalité, compte tenu de ce que nous avons dit, la part de l’éolien terrestre y est très modérée, quoique surévaluée. On la mélange avec celle du photovoltaïque, deux fois plus forte malgré une production bien moindre, et c’est EDF qui empoche les deux tiers de cette partie de la contribution (le bénéfice des tarifs réglementés), par l’intermédiaire de sa filiale EDF EN (énergies nouvelles), qui a bizarrement obtenu beaucoup de permis pour monter de nombreuses installations qui « arnaquent les Français », pour reprendre le titre du fameux dossier.
  • Enfin, dans les éléments de coûts soulevés par l’auteur du dossier, figure le coût de l’intermittence de la production éolienne, qui nous obligerait à doubler le parc éolien d’une capacité de centrales thermiques : encore une fois, sa méconnaissance du dossier est confondante. D’une part, le nucléaire, incapable de faire face à des variations un peu vives de la demande requiert lui-même une capacité de pointe, qui prend aujourd’hui la forme de CCCG (centrales à cycles combinés au gaz), extrêmement coûteuses, même si on ne s’en sert pas. L’opacité des comptes d’EDF et le manque de temps ne m’ont pas permis pas de cerner l’impact économique de ces dispositifs, à l’échelle du parc de centrales nucléaires. D’autre part, l’intermittence de l’éolien signifie parfois trop et parfois trop peu, ce qui se règle, comme le montrent les exemples de nombreux pays (Allemagne, Portugal, Danemark) par du stockage et une gestion appropriée du réseau, dont notre mastodonte hypercentralisé est incapable. L’évaluation de la répercussion du stockage sur le coût du MWh consommé selon plusieurs sources, est au niveau de 50 €/MWh. Cela reste bien raisonnable, après tout ce que nous avons vu, puisque cela ne met le MWh éolien « lissé » qu’à 120 €. Encore faudrait-il que les champions du monde du nucléaire daignent laisser une liberté et des moyens d’expérimentation à ce qui le souhaitent, nous dirons plutôt d’apprentissage, parce que d’autres ont déjà sérieusement débroussaillé le terrain.

Dans les prochains mois, nous poursuivrons notre débusquage des élucubrations (tromperies ?) dont sont émaillés les huit autres points du fameux dossier. Il va de soi que je tiens à la disposition de ceux qui le souhaitent les sources ayant servi à cette trop volumineuse rédaction : ce sont des sujets délicats méritant un traitement complet et précis.

Une réponse sur “Lettre d’information n°12 – septembre 2014”

  1. Rectificatif : la capacité du parc nucléaire actuel est de 63,1 GW (exactement 63.130 MW) pour 58 réacteurs.

    Voir la liste complète avec leur puissance, leur date de mise en service et leur production moyenne d’électricité :

    http://energeia.voila.net/nucle/france_58_reacteurs.htm

    En ajoutant l’EPR de Flamanville et ses 1.600 MW, cela ferait 64.730 MW. EPR dont la date officielle de connexion au réseau est décembre 2016.

    En supprimant les deux réacteurs de Fessenheim, de 880 MW chacun, il resterait 62.970 MW, soit 63 GW de capacité.

    A voir sur le même site un bon article sur l’ambiguïté du discours sur la réduction à 50% du nucléaire dans la production d’électricité :

    http://energeia.voila.net/nucle/ambiguite_nucleaire.htm

    D’une façon générale, le dossier sur le nucléaire fourmille d’informations peu connues, tout comme celui sur le solaire.

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