Nous bouclons aujourd’hui notre première année de revue de presse : cinquante deux semaines sans en manquer, et un lectorat en progression constante, adhérant largement au format et au ton. Cette semaine, par les hasards de l’actualité, c’est un peu différent, « c’est du (vraiment) lourd » ! La nucléocratie fait entendre des craquements bizarres, dont la presse a fait ses choux gras. Il faut décrypter, et comprendre que la politique nationale en la matière « flotte », comme pour le reste, et qu’il devient vraiment important, pour tout un chacun et dans sa sphère d’influence, de se préoccuper sérieusement de quoi demain sera fait pour lui, pour ses voisins, pour ses concitoyens. L’état « providence » est le jeu de lobbies qui s’entredéchirent et n’ont rien de plus pressé que de défaire ce que les précédents ont fait. Mais il y a aussi, dans ces instances dirigeantes, des personnes conscientes de cet état de fait et de leurs responsabilités : elles doivent être un point d’appui pour libérer le développement de stratégies énergétiques locales qui seront demain la meilleure garantie de résilience face aux innombrables menaces.
Pour rester près des préoccupations des Français « d’en bas », nous rappelons la mise en ligne, libre pour quelques semaines encore, sur notre site (lien cliquable) des enregistrements vidéo de notre Web Conférence sur le sujet du chauffage au bois, qui aborde l’intégralité de la problématique, avec le renversement de pas mal d’idées reçues et propagées à l’infini par ceux qui ne veulent pas savoir. Les énergies renouvelables vont bientôt prendre, même en France, la place de premier plan qu’elles doivent occuper : nous assisterons alors à la multiplication des faiseurs de miracles et grands docteurs es EnR, déjà bien présents. Pour s’en prémunir, rien de tel que de se former soi-même et de profiter de l’expérience de ceux qui ont pris un peu d’avance. Les mauvais projets sont un désastre chez soi – faisons tout pour les éviter -, mais une mine d’enseignements chez les autres, profitons-en…
Une étrange épidémie de « fuites » de rapports d’études conduites à la demande de l’administration et du gouvernement, et tenus sous embargo : la semaine passée a vu apparaître de manière (plus ou moins) pirate dans divers grands médias (Médiapart et le Figaro, repris ailleurs) pas moins de quatre rapports dont des enseignements peuvent être tirés au premier, au second, voire au troisième degré ou plus… Trois d’entre eux concernent le domaine de l’énergie : le fameux rapport d’étude commandé par l’ADEME « Vers un mix électrique 100% renouvelable en 2050 » (lien cliquable), le rapport commandé par Arnaud Montebourg, alors ministre de l’économie, sur les gaz de schiste « Hydrocarbures non-conventionnels en France : perspectives ouvertes par les nouvelles technologies d’exploration et d’exploitation – 20 mois à le recherche des gaz de schiste écologiques » (lien cliquable), et enfin, publié tout récemment, un rapport de la Cour des Comptes, vieux de cinq mois, sur « les soutiens à la filière forêt-bois » (lien cliquable). Le quatrième, dans un tout autre domaine, n’a pas sa place ici, mais participe au trouble général.
Ces fuites massives de travaux qui vont à l’encontre des politiques mises en place par les gouvernements et l’administration font un effet de cacophonie et de cafouillage inquiétant, au niveau des ministres et des directeurs de l’administration. On peut se demander quelle foire d’empoigne cela révèle, au sein même des instances gouvernantes en charge de la définition de ces politiques, et on ne peut que regretter de voir les processus de définition reposer sur des luttes intestines entre groupes de pressions (lobbies), faute de débats clairs et complètement ouverts qui permettraient de partir sur des consensus populaires forts, comme c’est le cas chez nos voisins.
Sur le rapport d’étude de l’Ademe, l’article qui me semble le plus sensé est celui d’Yves Heuillard dans dd magazine (lien cliquable), qui s’appuie sur une étude de Bernard Chabot, excellente comme d’habitude. Le reste des médias me fait penser, sur ce sujet, à une grappe de hannetons dans une boite d’allumettes : beaucoup de bruit pour rien, ou presque, entre ceux qui multiplient les règles de trois pour transformer la France en hydravion, ceux qui font semblant de découvrir l’Amérique, alors que ce rapport ne fait qu’écrire, sous couverture de l’Ademe, ce qui est déjà mis en œuvre chez nos voisins, ceux qui tout simplement, sentant le vent tourner… retournent leur veste et ceux qui restent droit dans leurs bottes (UFE, SLC etc.) Mais le plus pathétique, ce sont les contorsions du directeur général de l’Ademe et de la ministre de l’écologie et du développement durable, et accessoirement de l’énergie. Le premier, Fabrice Boissier, un jeune (et brillant, bien sûr) normalien supérieur, du corps des mines (comme la fameuse Anne Lauvergeon), précédemment directeur des risques à l’Andra (l’agence en charge des déchets radioactifs longs), à commencé par prétendre que ce rapport n’était pas le bon, que l’étude n’était pas finie (en dépit de la mention figurant en clair sur la couverture), avant finalement de le publier sur le site de l’Ademe, en indiquant que le débat sur l’énergie était, de toutes façons, clos. Quant à la ministre, elle a, comme a son habitude, dit successivement, et même simultanément, tout et son contraire, selon le sens de la brise médiatique, étant tout à la fois pour et contre le nucléaire, avec Maud Fontenoy (Messieurs les Anglais, tirez les premiers) et les Ver(t)s (dans le fruit), i tutti quanti, et elle aurait fini, selon un site citant un tweet @AREVADEME, par prétendre que c’était elle qui avait demandé cette étude (dont ses services ont cherché à bloquer la diffusion) à l’Ademe, « pour rétablir l’équilibre ». On a du mal à le croire, sachant que l’étude aurait été lancée avant qu’elle ne soit au ministère. Mais on ne sait jamais, et cette anecdote ne fait qu’illustrer la confusion régnant.
Que va-t-il se passer maintenant ? On sent le vent tourner dans les grands médias : les anciens apôtres du nucléaire vont très vite muter pour devenir des commis voyageurs des renouvelables. Ils ont sans doute encore besoin de sentir le vent nouveau, mais soyez assurés qu’ils vont venir demain sur ce marché devenu prometteur des énergies locales pour vous vendre leur soupe, comme hier ils tiraient à vue sur les renouvelables, éolien terrestre en tête, pour complaire à leurs sponsors. Encore bien du gâchis en perspective !
L’affaire du rapport sur les gaz de schiste, dit rapport Montebourg, est encore plus loufoque, si possible, et plus inquiétante aussi. (lien cliquable) Simultanément, le Figaro diffuse ce rapport en faveur des gaz de schiste et indique qu’un des laboratoires qui a travaillé dessus reconnaît s’être lourdement trompé. En fait, il devrait être clair désormais pour tous, après ce revirement de l’OFCE (un « labo » de Sciences Po), que jamais, même dans les meilleures conditions économiques, les gaz de schiste ne pourront être l’eldorado qui fait rêver les politiques toujours candidats, sans cesse à la recherche d’une baguette magique pour nous faire quelque tour de passe-passe dont ils voudraient bien avoir le secret. Du reste, cet eldorado, modèle américain, est en train de prendre l’eau, c’est le cas de dire, avec, là-bas, la multiplication des faillites et la division radicale du nombre de forages. On pourrait épiloguer sur le sérieux d’organismes de recherche, dont les résultats semblent à géométrie fort variable, selon le sponsor en place. Mais le plus inquiétant, c’est que le lobby des gaz de schiste (des pétroliers et des chimistes en mal de vente de produits toujours plus terrifiants) a repris la balle au bond, en s’emparant du rapport, sans faire état du correctif qui l’anéantit. Et lundi soir, lors d’une éclipse de la grève de Radio France, rien n’était plus pressé que de faire un débat pour relancer les gaz de schiste (lien cliquable), avec, face à deux représentants du lobby, très affutés et sans vergogne, un opposant qui avouait lui-même ne pas bien maîtriser l’ensemble du sujet et a laissé passer quelques belle énormités. Et vous verrez, comme je le pense depuis le début, ça finira par sortir en France, alors que l’échec sera patent ailleurs : question d’exception.
Alors, finissons sur une bonne note, chez nos voisins du sud, l’Espagne : (lien cliquable) dans ce pays où tout va mal (quoique…), où la transition énergétique serait en pleine déconfiture, le chômage galopant etc., les énergies renouvelables ont couvert 47% des besoins d’électricité au mois de mars. L’Espagne se rapproche donc progressivement de son voisin occidental, le Portugal, qui, lui, couvre, à longueur d’année, plus de 70%, tout près maintenant des 100%, espérés en 2017. Mais, comme on aime à dire chez nous, « ça ne marchera jamais ! » Un média australien (RenewEconomy) a néanmoins eu l’humour (?) de noter que chez nous, en France, le solaire photovoltaïque a fourni 9,1% des besoins d’électricité, ce dimanche 12 avril à 15 h… Je ne m’en étais même pas aperçu. Et vous ?
Attention à la situation particulière de certains pays qui peuvent avoir une très forte proportion d’électricité renouvelable grâce à l’hydraulique. C’est le cas par exemple de la Norvège qui produit entre 98% et 102% de son électricité avec l’hydraulique.
Le Danemark ne pourrait pas avoir un taux aussi important d’électricité éolienne sans les échanges avec l’hydraulique norvégienne, soit pour absorber les surplus, soit pour compenser les manques.
Cependant, en France, il est possible de produire 48 % de l’électricité à partir de sources renouvelables dès 2030.
http://energeia.voila.net/renouv2/renouvelable_possible.htm
Sous réserve d’une réelle volonté politique en ce sens, cela ne présente pas de difficulté.
L’augmentation de capacité éolienne, solaire et en biomasse nécessaire pour cela d’ici 2030 est inférieure à ce que nos voisins allemands ont réalisé entre 1999 et 2014 pour l’éolien – entre 2006 et 2014 pour le photovoltaïque –
entre 2004 et 2014 pour la biomasse.
Il est clair que des caractéristiques géographico-physiques peuvent rendre plus facile la transition vers le 100% renouvelable. Mais, d’une part, notre pays n’est pas mal pourvu dans ce domaine, et la région que je connais le mieux de ce point de vue, la Bretagne, a tout ce qu’il faut pour réaliser du stockage, et, d’autre part, d’autres systèmes de stockage, non STEP et sans besoin de caractéristiques naturelles particulières, sont en train d’émerger. Peut-être seront-elles un peu plus coûteuses, mais il ne faut pas non plus surestimer le besoin de stockage : c’est une des leçons que j’ai retenues de l’étude allemande Kombikraftwerk, en laquelle j’ai beaucoup plus confiance que dans l’étude « Ademe » récente.
Un exemple récent de ces « faiseurs de miracles et grands docteurs es EnR » concerne une petite éolienne de 500 watts à installer dans son (grand) jardin.
Selon la région (voir la carte du potentiel éolien) et l’environnement (ville, campagne, crête d’une colline), la production annuelle d’électricité varie de 10 kWh à 2.500 kWh.
http://energeia.voila.net/eolien/petite_eolienne.htm
Un discours commercial aguicheur, avec un prix partiel et le plus souvent loin de la réalité, une rentabilité qui ne peut être atteinte que dans des sites exceptionnels (ceux à 2.500 kWh/an) et rares.
Même chose concernant un « tournesol photovoltaïque » promu par EDF, lequel demande aussi un grand jardin et produit de l’électricité à un coût deux fois plus élevé qu’une installation classique en toiture (en intégration simplifiée au bâti) faite par une entreprise honnête.
Ou encore cet « arbre éolien », beaucoup plus cher mais lui aussi bien peu productif, destiné aux entreprises ou aux municipalités qui veulent « laver plus vert » (« greenwashing ») aux frais de leurs clients ou de leurs administrés.
Malheureusement, ce type de bonimenteurs existe depuis longtemps. Ils restent de petits faiseurs, qui espèrent se rattraper sur la quantité, mais sans grande chance à mon avis. Les personnes que je visais dans mon introduction sont de plus haut vol et pourraient faire des dégâts bien plus considérables, en engageant des territoires entiers sur de fausses pistes où le gâchis sera effroyable. Je tremble à la pensée que des chantres patentés et stipendiés de la transition nucléaire, sentant que le filon va couper court, ne se reconvertissent aux stratégies 100% EnR et y appliquent la même clairvoyance très intéressée. Je suis sûr que vous avez vous-même quelques idées de consultants et « bureaux d’études » qui préparent ce revirement. D’expérience, je vous annonce une avalanche de démarches et projets foireux, comme nous en voyons par exemple beaucoup aujourd’hui dans la méthanisation. On est vraiment un cran au-dessus de la petite éolienne domestique ou du gadget ridicule d’EDF EN.